Archives mensuelles : février 2012

Cairo Street Art Revolution (Jan-Feb 2012)

Depuis la chute de Hosni Moubarak, les murs du Caire sont devenus le lieu de prédilection des militants et des artistes de Street Art. Pour exprimer leurs opinions et continuer leur combat pour la Liberté, la Justice et la Démocratie, les révolutionnaires prennent de nouvelles armes :  bombes de peinture et pochoirs.

Un an après la révolution, la lutte contre le Conseil Suprême des Forces Armées (SCAF), et sa main mise sur le pouvoir, s’étale sur les murs de la rue Mohamed Mahmoud, théâtre des plus sanglants affrontements.

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« Non aux tribunaux militaires pour les civils »

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« Menteurs »

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Juste de l’art…

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Le 1er février 2012, plus de 80 supporters de l’équipe de foot Ahly ont été tués dans le stade de Port Saïd,lors d’un match. A travers le Street Art, les artistes de la rue rendent hommage à ces martyrs. Toujours rue Mohamed Mahmoud.

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Shaytan !

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Street battle (Cairo – 5 février 2012)

« Ya habibi… » La voie de Oum Khalthoum résonne dans la pièce. Joana, une danseuse du ventre portugaise aux formes généreuses, au déhanché surprenant et tout simplement magnifique, mène la danse. Dans ce café-restaurant du quartier de Mohandessin, on s’amuse, on bouge au rythme du tabla et on se félicite de ses performances. Soirée entre fille et danse du ventre au Biencaffé. Aucun homme n’est autorisé à mettre le nez à l’intérieur, les serveuses s’occupent de faire marcher la boutique. Égyptiennes ou Européennes, et même quelques soudanaises avec leurs longues galabeyya noire, les filles ce soir n’ont pas peur de se dévoiler. Au sens propre comme au figuré, les hijab tombent au fur et à mesure que les femmes deviennent de plus en plus sexy et aguicheuses. La petite Titi Chérie, la princesse de la soirée s’est endormie dans les bras de sa maman. Mon téléphone sonne. Malko. « Ça pète en ville, tu viens ? ». Yallah !

Petit retour en arrière. Le 1er février dernier, un massacre sans précédent se déroula dans le stade de Port Saïd. Plus de soixante-dix morts au cours d’un match de football qui aurait dégénéré. Première version, les supporter de l’équipe d’El Masry de Port Saïd auraient attaqué les supporter de l’équipe adverse El Ahly. Mais cette fois-ci la supercherie ne marche pas. Comment est-il possible que des hommes armés aient pu si facilement passer les contrôles de sécurité ? Pourquoi en arriver à un tel niveau de violence ? Pourquoi le gouverneur n’était-il pas présent à ce match, lui qui n’en manque aucun habituellement ? Enfin, les supporter d’El Masry sont formels « ceux qui ont attaqué n’étaient pas avec nous, c’étaient des personnes extérieures ». Le soir même de cette tragédie, la théorie du complot est sur toutes les lèvres. Les responsables ? Ils sont plusieurs selon les rumeurs : Conseil Suprême des Forces Armées, ministère de l’Intérieur, anciens membres du Parti National Démocratique, Moubarak et ses fils depuis leur prison. Pourquoi ? Pour différentes raisons. La principale : la Loi d’état d’urgence. Cette dernière a été levée deux semaines auparavant par le général du CSFA (excepté pour les baltagayya, les voyous, ce qui enlève toute crédibilité à cette décision), mais le gouvernement de transition continue de faire pression sur le nouveau Parlement, pour que ce dernier accepte le retour de cette loi donnant les pleins pouvoirs à l’appareil exécutif de l’Etat (arrestations arbitraires, tribunaux militaires pour les civils, et j’en passe), actuellement le CSFA. D’où cette idée : créer une situation de chaos pour redonner toute sa légitimité à cette loi. Enfin, il faut savoir que les Ultras, nom donné aux supporter des équipes de football, et plus particulièrement ceux d’El Ahly, ont été très présents sur le terrain depuis le début de la révolution. Durant les dix-huit jours et plus récemment comme en novembre durant les évènements de Mohamed Mahmoud, ces jeunes (ils ont en majorité entre 15 et 30 ans) furent aux premières lignes lors des affrontements avec la police et l’armée. Leur expérience du « combat » avec les forces de l’ordre a été nombre de fois mise au service de la révolution contre Moubarak, puis contre le CSFA.

A partir du 2 février de nombreuses marches et manifestations ont été organisées au Caire. Contre le CSFA, contre le ministère de l’Intérieur, pour la mise à mort de Moubarak… Ces manifestations, qui se voulaient pacifiques, ont évidement très vite dégénérées. Un an après le début de la révolution du 25 janvier, le niveau de tension est à son maximum en Égypte et particulièrement au Caire. Le massacre de Port Saïd est l’étincelle qui mit le feu aux poudres. Dans la soirée du 3 février, les affrontements entre la police et les manifestants (avec encore une fois les Ultras étaient plus remontés que jamais et réclamaient justice en première ligne) débutèrent dans la rue Mohamed Mahmoud, cette tristement célèbre rue qui de Tahrir mène au Dakhaliyya, le ministère de l’Intérieur. La situation se dégrade aussi à Suez. En deux jours, on fait état d’une dizaine de mort et d’environ 1200 blessés.

Le taxi rechigne à m’amener jusqu’à la place Talaat Harb : « c’est dangereux, la route sera fermée, ensuite je ne pourrai plus repartir, il va falloir que tu me paye plus ! « . J’en crois pas mes oreilles « je te demande pas d’aller à Tahrir ! Il ne se passe rien à Talaat Harb. Met le compteur, on verra après… ». Malko boit son thé au Bustan. Une heure plus tôt, il était sur Middan Bab El Louq avec Dupond. Nuage de gaz, une voiture de police est entrée sur la place, du haut de sa tourelle un homme tirait à la chevrotine tous les manifestants qui se trouvaient sur son passage. Parmi eux Salma, une activiste de la première heure. Une de ces jeunes femmes qui n’hésitent pas lors des affrontements à se battre aux premières lignes au même titre que les hommes. Salma, ce soir, a eu beaucoup de chance, malgré trois balles en caoutchouc au visage elle a les yeux intactes. Sur sa jambe droite : 26 balles. Malko termine son thé, puis nous prenons la rue Boustan pour rejoindre la place de Bab El Louk. Autant éviter de se faire repérer, en qu’étrangère mais surtout en tant que fille étrangère, je couvre ma tête d’un keffieh, seuls mes yeux apparaissent. La veille, nous sommes rue Mohamed Mahmoud quand une bombe de gaz provoque un effet de foule, occasion pour un petit tripotage en règle à mon égard. Voilà pourquoi ce soir, je tiens à me faire le plus discrète possible. Et puis avec tout ce gaz en suspension, ce n’est pas un mal de se couvrir le visage.

Nous marchons tranquillement, la situation s’est apaisée mais les gens restent prêts à bondir en cas d’une nouvelle attaque de la police, qui se trouve à une centaine de mètres. Parfois pour se donner du courage, et lorsqu’une bombe de gaz vole au dessus des nouveaux murs construits la veille, les manifestants crient leurs habituels slogans « A bas le pouvoir militaire », « le peuple veut la chute de Tantawi », « Lui il part, nous on reste », « Ministère de l’Intérieur, voyous » ! La visibilité est très mauvaise entre les restes de gaz, la fumée des feux sur les trottoirs, le manque de lumière… Toute cette ambiance ressemble à un rêve. Un rêve qui picote le nez et parfois fait tourner la tête. La rue Mohamed Mahmoud, la rue Falaki, la rue Fahmi, la place Bab El Louq, quelques milliers de personnes résistent malgré les assauts réguliers de la police. Dans la rue Noubar, les images sont affreusement magnifiques. Il n’y a qu’une centaine de manifestants sur place. Au bout de la rue, les casques des policiers brillent. Devant eux quelques flics en civils lancent des pierres sur les manifestants qui commencent à s’exciter à cinquante mètres à peine. Entre les deux groupes, dans la brume de gaz un homme ou deux s’avancent vers le barrage des policiers, les mains au ciel, les doigts formant le V de la victoire. Un cocktail molotov, deux trois pierres de la part des jeunes et la police charge. Doucement mais sûrement, mètre après mètre, elle avance éloignant les jeunes à coup de gaz et de chevrotine. A chaque coup de feu les manifestants se baissent de quelques dizaines de centimètres, transformant cette débâcle en danse macabre. Un groupe de jeunes, avec qui nous discutons depuis quelques minutes, nous expliquent : « ils visent les yeux, il suffit de baisser la tête et les balles passent au-dessus ». C’est une technique comme tant d’autres, quand on passe des journées à se battre dans la rue on apprend. Par exemple : quand il y a un effet de foule ne pas courir et essayer de rester le long d’un mur sur un trottoir. Voir d’où vient le vent et vers quelle direction les gaz se propagent. Fumer une cigarette de temps en temps, ça fait passer le gout du lacrymogène qui reste dans la trachée. Ne jamais se toucher les yeux avec les mains ou un foulard, si possible se les rincer avec du coca ou cette nouvelle substance à base d’eau et d’amidon, pour le nez et la bouge utiliser du vinaigre… Dans chaque rue, des jeunes garçons et filles, certains plus chanceux sont équipés de masques à gaz, se baladent avec des sprays dans les rues enfumées et aspergent les yeux brûlants des manifestants. Parfois, on tombe sur un point infirmerie avec quelques couvertures. Les motos vont aux premières lignes chercher les blessés, en majorité sans connaissance à cause du gaz, les amènent au point infirmerie, là une ambulance arrive pour prendre les cas les plus graves et les conduire à l’hôpital de campagne de la mosquée Omar Makram, sur la place Tahrir.

Ce soir, les manifestants sont très nombreux et pourtant ils reculent sous les attaques répétitives de la police. Un petit manque d’organisation peut-être. Mais surtout une volonté pour la majorité de rester pacifiques. Cela parait ridicule dit comme ça. Mais autour de moi les gens avancent, chantent leur slogans, mais n’ont rien dans les mains ! Pas d’arme, pas de couteau ni de bâton. Les cocktails molotov sont très rares. Et ceux qui, aux premières lignes, lancent des pierres sont quelques dizaines à peine. Il est claire que si les manifestants voulaient se battre au sens propre du terme, ils le feraient et la police se ferait écraser. Mais non ils restent là, devant les murs de cette nouvelle forteresse le Dakhaliyya à crier “Lève la tête haut, tu es égyptiens ».

Un homme s’approche de moi : « Tu viens d’où ? -France – Pourquoi tu es ici ? -J’habite ici, je veux voir ce qui se passe. – Tu n’as pas peur ? – Non, et toi tu n’e pas peur ? – Non, mais j’ai peur pour toi. »

Les étrangers ne sont, en général, pas les bienvenus sur les zones d’affrontements. Pour une simple raison : ce n’est pas notre histoire, ce ne sont pas nos affaires. Et toujours la peur que la présence des étrangers donne des occasions de propagande avec le fameux « agenda étranger », une menace venue d’Israël et des États-Unis pour diviser le peuple égyptien. Mais hier soir, nous sommes bien accueillis.

A une heure du matin, la situation stagne, la police se rapproche une nouvelle fois dangereusement de la place Bab El Louq. Les combats vont encore durer toute la nuit. Mais toutes ces personnes, elles n’ont que ça à faire, diraient les mauvaises langues, elles ne travaillent donc jamais ?! Pour répondre à cette question, il suffit de regarder le taux de chômage : non ces personnes n’ont pas de travail. Et ces enfants qui traînent dans les rues à ramasser les bombes de gaz aux premières lignes et ensuite cracher leurs poumons pendant des heures sur un trottoir, ils ne vont pas à l’école ? Non, ils ne vont pas à l’école. Ces gamins des rues, sans famille ni maison, qui passent habituellement leur temps à sniffer de la colle, on trouvé dans Tahrir et la révolution une nouvelle maison. Donnez du travail aux jeunes, mettez en place des structures pour ces enfants, faîtes ce qu’un État doit faire pour son peuple. Et au lieu d’organiser des massacres dans des stades de foot, agissez pour un État de droit.

Un an après la révolution, la rue est encore le théâtre d’un combat entre le peuple et ceux qui détiennent le pouvoir. Tantawi a remplacé Moubarak dans les slogans, le CSFA a remplacé le système. Mais ces mêmes mots restent inscrits sur les banderoles : Liberté, Pain et Justice.  


Street battle in picture (3 février 2012)

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Centre-ville du Caire. La veille au soir, coincés en première ligne. En majorité, des manifestants qui se sont évanouis sous l’effet des gaz. Le mur de la rue Mohamed Mahmoud est tombé., les combats entre forces de l’ordre et manifestants ont débuté. La fumée en apesanteur rend l’air irrespirable. Après le prêche du vendredi, les combats reprennent. Beaucoup d’enfants des rues jouent à la « guerre » entre les charges de la police et les bombes de gaz lacrymogène. Des hommes sur des motos vont chercher les blessés graves, où les hommes de la sécurité et les manifestants sympathisent un bref instant, pour laisser passer le flot de contestataires. Les Ultras sont présents avec leurs drapeaux. Les 80 martyrs du massacre du stade de foot de Port-Saïd sont dans tous les esprits. Le CSFA doit payer. Mohamed Mahmoud n’est plus qu’un nuage de fumée.


Street Battle in vidéo (3th february 2012)

Affrontements entre manifestants et forces de sécurité, rue Mohamed Mahmoud, Le Caire, 3 février 2012.